Histoires d’eau

Flagey, une histoire d’eau

L’histoire de la place Flagey (place Sainte-Croix avant 1937) est totalement liée à celle de l’eau. Sa surface a été gagnée sur le Grand Étang d’Ixelles, dont on a remblayé une grande partie au milieu du xixe  siècle. Tout comme on a remblayé les étangs plus en aval. Au carrefour de la chaussée d’Ixelles et du Maelbeek, aujourd’hui voûté, la place et la rue Gray en aval ont été à plusieurs reprises envahies par les flots.

C’est pour limiter les risques d’inondations que la Région et la commune d’Ixelles ont proposé de creuser un bassin d’orage de 33 000 m3 sous la place, le plus grand construit en zone densément peuplée de la Région de Bruxelles-Capitale. Ce bassin, qui sera surmonté d’un parking, est censé répondre aux fortes pluies d’orage qui surviennent en moyenne tous les dix ans. Mais avec le réchauffement climatique, cette fréquence pourrait bien changer. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi qu’a évolué ce lieu, qui fut d’abord marécage, puis drainé et creusé en étang (afin, entre autres, d’éviter les inondations), puis comblé pour en faire une place, elle-même creusée à nouveau afin d’en faire ce bassin d’orage qui sera recouvert pour rénover la place… Ainsi sont sans doute les humains, démiurges, jamais avares de leur temps ni de leur énergie  !

Maelbeek Mon Amour

Restaurer les cycles de l’eau, c’est politique

Face aux normes difficultés que représente la construction d’un bassin d’orage de cette taille, des collectifs de riverains estimaient que les risques d’inondations pouvaient être diminués en gérant les eaux par infiltration, évaporation, ralentissement de son écoulement et par son utilisation à de multiples fins, c’est-à-dire en restaurant les cycles de l’eau dans l’urbain. Il fallait traiter l’eau, non pas là où se produisaient les inondations, mais sur l’ensemble de la vallée. Ce fut la première fois qu’à Bruxelles, l’eau devenait un enjeu politique et écologique, objet de débat, et pas seulement une marchandise dont on est client.

Entre Till Ulenspiegel et Pessoa

Est-ce parce que cette place est environnée par ces deux figures littéraires que les mouvements de résistance des habitants ont pris une telle ampleur  ? Till Uylenspiegel, dont on voit une sculpture de l’autre côté de la place, près des étangs, est un personnage tiré de la littérature allemande et repris par Charles Decoster dans «  La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays des Flandres  ». Dans cette œuvre, Till l’espiègle (en français), est une figure de la résistance, incarnant un esprit frondeur et libre face à l’oppression espagnole exercée par Philippe ii et le duc d’Albe. Pessoa, dont la statue ci-devant rappelle la présence de nombreux Portugais habitant près de la place Flagey, est un poète au regard sans concession, mélancolique et parfois désabusé.

Qu’il serait bon d’être la poussière de la route

Et que les pieds des pauvres viennent me fouler…

Qu’il serait bon d’être les fleuves qui s’écoulent

Et que les lavandières viennent sur mes berges…

Qu’il serait bon d’être les peupliers sur la rive du fleuve

Et d’avoir le ciel seul en contre-haut

et l’eau en contre-bas

Qu’il serait bon d’être l’âne du meunier

Et qu’il me batte et me câline

Plutôt cela que d’être celui qui traverse la vie

En regardant derrière lui et sujet au chagrin…

Fernando Pessoa in «  Alberto Caeiro. Le Gardeur de Troupeaux et les autres poèmes  »

Refouler la colère des eaux

Le fonctionnement d’un bassin d’orage est assez simple. Ce n’est rien d’autre qu’un grand réservoir situé sous la place, le plus souvent vide et prêt à se remplir des eaux tumultueuses provenant des voiries et des égouts lors d’orages intenses. Grâce à ce dispositif, les eaux ne vont pas remplir les caves et les rue placées en aval. Une fois l’épisode orageux terminé, les eaux sont pompées et renvoyées vers les égouts. Le système classique de gestion des eaux a non seulement refoulé l’eau, mais en a aussi refoulé les colères.

Observez le dallage de la place Flagey. Les courbures de la pierre indiquent la courbe que dessine le Maelbeek venant des étangs d’Ixelles et coulant vers la rue Gray.

Fernando Pessoa nous invite à sa table, à la terrasse du café A Brasileira, au Largo di Chiado, Lisbonne, œuvre de António Augusto Lagoa Henriques (photo L. Rocha Wikipedia commons)