Le canyon

Le pont de l’avenue de la Couronne peu de temps après sa construction (Fonds Belfius, Académie royale de Belgique)

Jetez les montagnes dans la vallée

De ce carrefour s’ouvre une vue remarquable sur le pont de l’avenue de la Couronne qui enjambe la vallée du Maelbeek. Ce viaduc est un ouvrage d’art en maçonnerie de briques de près de 20 mètres de haut. Imaginé dès 1864 par l’inspecteur-voyer Victor Besme, il fut achevé en 1880. Il avait pour objectif de prolonger la rue du Trône et de participer à l’extension de Bruxelles, notamment en agrandissant le faubourg vers la montagne du Cygne. Aujourd’hui, le pont est classé.

Vous remarquerez les pentes abruptes de la vallée qui sont faites d’énormes remblais qui permettent de rapprocher les bords de la vallée et de réduire la portée du pont. Cet ensemble illustre à merveille une formule de Victor Besme : « bouleverser les montagnes et les jeter dans les vallées ». La vallée doit être effacée au profit de l’extension d’une ville radiale (du centre vers la périphérie, comme un rayon), axe du pouvoir militaire (elle relie les casernes à la ville) et social (elle est bordée de maisons patriciennes) qui se développe au mépris du relief… Les vallées disparaissent, sinon du paysage, du moins des consciences.

D’autres axes radiaux effacent le relief de cette vallée, comme par exemple la rue de la Loi reliant les centres du pouvoir au champ de manœuvres (actuel Cinquantenaire) ou encore l’avenue Louise qui suit la ligne de crête au Sud-Ouest. La seconde moitié du XIXe siècle est une époque où Bruxelles, devenue capitale d’une jeune nation, doit montrer les signes de son pouvoir… jusque dans l’urbanisme. C’est une période où l’on croit au progrès des sciences et des techniques qui permettent à l’homme de s’affranchir de la nature, laquelle devient l’objet de l’exploitation par l’homme.

L’herbier du Maelbeek


Victor Besme

Victor-Jean-Constant Besme entre en fonction comme inspecteur-voyer en 1858. Il reçoit, du Ministre de l’Intérieur Charles Rogier, la mission de revoir le plan général de nivellement et d’alignement des faubourgs établis par son prédécesseur, Charles Vanderstraeten. Il publiera en 1863 à l’Établissement géographique Vandermaelen son Plan d’ensemble pour l’extension et l’embellissement de l’agglomération bruxelloise.

Nombre de ses propositions, si elles ne se réalisent pas telles qu’elles étaient présentées dans ses plans, sont à la base d’éléments structurants du tissu urbain bruxellois tel qu’il s’est développé. Ainsi avait-il prévu, outre l’avenue de la Couronne, une ceinture de boulevards, dont le boulevard Général Jacques avec ses casernes. Il fut aidé par deux lois (1858 et 1867) portant sur l’expropriation par zone pour travaux utilitaires – autrement dit pour la réalisation de grands chantiers tels que percements de boulevards, dessins de nouveaux quartiers…

Besme prévoit aussi des nouveaux quartiers, sociologiquement déterminés, réservés aux classes aisées, à la classe moyenne ou à la classe ouvrière. Il estime « qu’il ne faut pas mélanger l’aristocratie de la nation avec la classe ouvrière. Il faut loger l’ouvrier côte à côte avec l’aristocratie de sa classe ».

Faubourgs de Bruxelles. Plan d’ensemble pour l’extension et l’embellissement de l’agglomération bruxelloise, 1866 (Archives de la Ville de Bruxelles)