
Carte postale du début du XXe siècle conservée dans le fonds Belfius – Académie royale de Belgique
La géographie se dévoile
Alors que, d’habitude, le bâti nous cache l’horizon et ne permet pas de comprendre la géographie, ici nous pouvons embrasser d’un seul tenant la vallée du Maelbeek. Vers le sud, on reconnaît au loin la tour bleue située sur l’avenue Louise. En avant, la flèche de l’église Sainte-Croix et la tour de Flagey. On devine alors, à leurs pieds, les étangs d’Ixelles et la place Flagey sur le parcours du Maelbeek disparu. On pourra aussi imaginer le cours de l’ancien ruisseau suivant l’actuelle rue Gray, passant sous le pont et filant vers Etterbeek. De l’autre côté du pont, vers le nord, on voit le quartier européen et sa nouvelle tour qui dessine une nouvelle ligne d’horizon, ainsi que le Cinquantenaire imposant situé dans l’axe radial du pouvoir de la rue de la Loi.
Que serait ce paysage devenu ?
En 1972, la voiture triomphait et la planification urbaine envisageait la construction d’une voie rapide qui, reliant la place Albert à Forest à la Cage aux Ours à Schaerbeek, aurait éventré les quartiers du fond de la vallée. Imaginez un instant ce que serait devenu ce paysage urbain écrasé par une autoroute ? Dans la vallée, les quartiers auraient complètement disparu. Et que serait-il resté de cet enchevêtrement de toitures ? Que serait devenue la qualité de vie ici ? Heureusement, un important mouvement citoyen a eu raison de l’autoroute du Maelbeek.
L’année suivante, le Conseil de l’Agglomération bruxelloise organisait une table ronde réunissant communes, services publics nationaux (la Belgique n’était pas encore régionalisée) et comités de défense. L’objet en était la rénovation de la vallée. Il en ressortit un projet encore fortement marqué par les visions de l’époque : élimination des vieux quartiers, voie rapide (quoique réduite et plus urbaine), etc. Néanmoins, une mixité de fonctions urbaines était recherchée. Ce projet ne sera pas réalisé dans son entièreté et longtemps encore, le quartier qui s’étend à nos pieds restera en attente d’une rénovation. Ce seront les contrats de quartier, dans les années nonante, qui lui apporteront un coup de frais.
Un chapelet de friches devenues espaces verts
Il y a quelques années, une jeune étudiante avait proposé un projet d’occupation des multiples friches qui s’égrenaient de Flagey à Jourdan par autant d’usages et d’activités citoyennes. Ici, jardin partagé ; là, cuisine collective ouverte, etc. Aujourd’hui, l’idée est, pour partie, en passe de s’instaurer. La petite rue Malibran est devenue jardin. Le jardin Gray-Couronne, ci-devant, est définitivement un espace vert reconnu. Le jardin rue Gray restera un potager partagé comptant encore d’autres fonctions. Et la réputée friche Eggevoort, même si elle devra disparaître en tant que telle, verra son esprit créatif reconduit ailleurs dans le parc Léopold. Il reste l’une ou l’autre friche dans le vallon : qu’en fera-t-on ?
La proposition de cette étudiante qui envisage le potentiel des espaces ouverts situés à proximité ou au sein même de noyaux urbains participe d’une manière de penser la ville qui est de plus en plus reconnue. Ces espaces ouverts ne sont pas considérés ici comme le négatif du bâti mais deviennent une base pour penser leur rôle social, économique et écologique. Les placer au cœur de la production des territoires permet de reconnecter les écosystèmes, les espaces, les échelles d’action, la multiplicité des usages. Cette approche de l’urbanisme privilégie les processus de transformation plutôt que les formes (et l’esthétique). Elle établit des relations et des liens entre les éléments et les objets plutôt que de s’intéresser aux objets seuls. Elle repose sur ce qui est déjà là, existant, afin de créer une dynamique de projet plutôt que de privilégier une logique de croissance. Elle avance dans l’incertitude plutôt que sur une base planificatrice.
Le jardin planétaire
« La Terre est un seul et petit jardin. Cette proposition bouleverse, à l’aube du troisième millénaire, la réflexion sur l’homme et son environnement. En embrassant la planète tout entière, enclos autonome et fragile, c’est un appel à mieux comprendre avant d’intervenir, à observer pour agir, à faire avec plutôt que contre la nature. Diversité, mouvement, assemblage entre les êtres vivants : la nature offre les richesses de son paysage à l’homme-jardinier. À celui-ci d’organiser son territoire et d’y ménager la vie selon sa culture et à son échelle. Prélever sans appauvrir, consommer sans dégrader, produire sans épuiser, vivre sans détruire, c’est possible. »
Gilles Clément

Dessin Kobe Lootens